Voilà bien longtemps que je ne t’ai écrit, la dernière fois
doit remonter à une quarantaine d’années, à l’époque où tu étais conscrit en
Allemagne loin de l’université où nous partagions nos cours, nous ignorions que
ces simples échanges épistolaires se transformeraient en une vie commune et j’espère
que ça durera encore longtemps.
L’éloignement me permet de mesurer combien tu m’es cher, je
découvre OSAKA en ce mois d’avril et c’est bien dommage que ton travail ne
t’ait pas permis d’être à mes cotés car il y a ici de quoi remplir tes carnets
d’aquarelles où tout est eau et lumière. Le sacré imprègne chaque chose de
l’espace et je suis rassurée par la sensation de sécurité qui s’en dégage comme
lorsque je suis en ta présence.
Chaque matin fait disparaitre les brumes caressantes en
quelques regards pour laisser passer le soleil entre les arbres fleuris. Les
journées sont sereines et riches de détails délicats, de jardins de
mousses pour les amoureux pensifs et de maisons de thé pour desserrer les
tensions des actifs fatigués.
Comme chaque soir, la ville salue respectueusement la belle
journée qui s’achève en s’illuminant lentement, ma chambre est un modèle du
genre, rien n’est superflu, les objets sont posés avec justesse et invitent au
repos. Dans cet environnement paisible, mes pensées font remonter nos souvenirs.
Je revois l’amant attentionné qui demeure en toi et les étreintes souples et
vigoureuses qui m’ont si souvent transportée.
Notre beau parcours n’a pas été un long fleuve tranquille, mais
le temps n’a pas aplani les passions, nous avons appris à évoluer cote à cote
et à nous révéler l’un et l’autre. J’ai toujours été plus confiante en toi que
tu ne pouvais l’être en toi-même. Je me souviens de tes tourments excessifs
face aux tracas quotidiens et finalement du peu d’efforts à fournir pour les
surmonter, de l’homme qui redoutait les confrontations et qui finissait vainqueur
malgré tout. Si je devais te comparer à un peintre, ce serait à Georges BRAQUE,
animé par la ferveur plutôt que par la force. J’ai admiré tes moments de calme
absolu face à ce qui semblait sans issue, tes réflexions et tes choix habiles malgré
certains renoncements inévitables.
Comment ne pas penser à nos enfants, nos garçons que nous
avons tous deux désirés avec force, brillants judokas comme toi avant eux,
emprunts du respect dû aux arts martiaux. Je ne regrette rien, tu as été un bon
père et si c’était encore possible, je te demanderais à nouveau un enfant,
alors en compensation je veux savourer avec ardeur les belles années qui sont encore
devant nous, comme lorsque nous avions vingt ans et que nous partions à
motocyclette. D’ailleurs, si tu prends ta moto pendant mon absence, sois aussi
prudent en solo que si j’étais derrière, j’ai envie de continuer encore
longtemps à sillonner nos routes préférées, d’aller d’hôtel en hôtel sans
bagage, et de poser nos cuirs sur les plages de notre beau pays.
Demain j’emprunterai le Shinkansen pour me
rendre à KIOTO, plus rapide que le TGV parait-il, je visiterai le sanctuaire
shinto de Miyajima et j’y déposerai les dernières cendres de notre fils cadet, voilà
cinq ans déjà que notre petit fleuriste est parti, il doit nous attendre quelque
part avec une rose. Ne profite pas de mon absence pour jeter ses derniers bouquets, je sais
qu’ils sont secs et poussiéreux mais j’y tiens beaucoup.
Voilà mon amour, je
serai de retour dans deux jours, n’oublie pas de t’occuper des orchidées de notre fils, j’espère
qu’elles auront enfin des hampes florales.
Je t’embrasse tendrement.
J.P.Z.
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