Des joutes d'amour pour le Jour de Joutes

Bonjour aux amoureux des belles lettres,

Nous publions ici les réponses à des lettres datant de 1939, trouvées près du canal d'Arles à Bouc, et signées d'un Pierre.
Ces réponses fictives ont été rédigées par Brigitte Curdel.
Elles furent prétexte à un concours de lettres, poèmes et mots d'amour, reçus dans le cadre des "Joutes d'Amour" des Territoires Poétiques, qui avaient lieu en juin 2013.

mardi 30 avril 2013

Cher inconnu,


Je ne connais ni ton visage, ni ta voix, ni la texture de ta peau. Je ne te connais pas. Ou peut-être que je te connais déjà mais que je ne sais pas que c'est toi. 

Je pense souvent à toi. Je me demande ce que tu fais en ce moment, à qui tu parles, qui tu regardes. Je me demande ce que tu lis et ce que tu écoutes, ce que tu chantonnes sous la douche, à quelle température tu préfères que l'eau coule sur ton corps, ce que tu portes. Je me demande si tu bois un café le matin. Je me demande si tu aimes aller au cinéma. Je me demande quel journal tu feuillettes. Je me demande pour qui tu votes. Je me demande si tu aimes danser pendant les concerts. Je me demande si tu fumes et quelle est la bière que tu préfères. Je me demande si tu oses tenir une main dans la rue ou si tu remets en place de temps en temps une mèche de cheveux qui vole. Je me demande si toi aussi tu penses à moi.

Je t'espère parfois quand la nuit est longue et seule. Je t'espère parce que la chaleur contre moi me manque, parce que serrer un corps me manque, parce qu'embrasser me manque. Je t'espère parce que la nuit est lente quand on ne dort pas et que je voudrais une main posée sur mon ventre, un souffle ressenti sur ma nuque, une jambe qui se pose contre la mienne. Je t'espère parce qu'aujourd'hui je connais mieux mon corps et que je sais ce qui est bon pour lui. Je t'espère parce qu'aujourd'hui j'ai envie de connaître ton corps moi aussi.

Je voudrais te dire que si tu décides de m'aimer, il te faudra être patient. Parce qu'on m'a fait beaucoup de mal et que je suis devenue méfiante. Parce que j'ai peur de souffrir encore et que j'apprends à me protéger mieux. Parce que j'ai trop accordé ma confiance et que désormais il va te falloir la gagner. Je ne te mettrai pas à l'épreuve, je ne sais pas faire ça, mais cela prendra du temps pour que je me laisse aller, comme avant.

Je voudrais te dire qu'il faudra me prendre comme je suis et que je ne changerai pas. Que j'ai des enfants dans mes bagages et qu'ils comptent au-delà de ce que tu imagines. Que j'ai des amies qui occupent une place immense et qu'il faudra bien que tu fasses avec. Que souvent j'ai besoin d'être seule, que j'écris des choses qui n'ont de sens qu'à mes yeux mais que ça compte beaucoup. Que sans musique je meurs. Que mon coeur n'est plus en sucre et qu'il te faudra en prendre soin. 

Je peux te promettre que si tu es patient, que si tu prends des précautions à mon égard, que si tu es courageux et franc, que si tu crois que cela en vaut la peine, tu ne seras pas déçu. Parce que je saurai t'aimer sans limites. Parce que je n'ai plus rien à perdre, j'ai déjà tant perdu. Parce qu'aujourd'hui je sais comme le bonheur est fugace et fragile et que je ferai tout pour qu'il ne s'échappe plus. Parce que je crois que c'est immense tout ce que nous avons à vivre ensemble.

Je peux te promettre qu'il y aura des rires aux éclats, qu'il y aura des escapades folles, qu'il y aura nos coeurs palpitants, qu'il y aura des moments moins faciles mais qu'on les dépassera, qu'il y aura du désir et qu'on entretiendra la flamme, qu'il y aura des moments que nous n'oublierons pas. 

Tu peux prendre ton temps pour sonner à ma porte. Je ne suis pas prête à t'ouvrir encore je crois. Pour le moment, je recolle un peu les morceaux de ma vie, de mieux en mieux, je reprends tournure. Je réapprends à me trouver jolie. Je réapprends à croire en moi. Mais je dois réparer tout ça avant de te rencontrer tu comprends, sinon on se cassera la gueule et je n'en ai pas envie. J'ai envie de nous, quand je serai prête pour nous.

Quand tu liras cette lettre, je sais que tu la comprendras. Tu n'es pas n'importe qui pour moi. Tu es l'homme qui viendra. Tu es l'homme qui posera ta main sur ma joue. Tu es l'homme qui verra celle que je suis, là, pour de vrai. Et ce sera beau, crois-moi.

Je t'embrasse,

Lisa

Tu aimerais un baiser

Tu aimerais un baiser ? Alors en voici un qui, déposé dans la nuque, va te descendre très doucement dans le dos, comme une goutte de rosée, très très bas... En voici un autre, sous le menton, qui va se couler entre tes seins et faire le tour de chacun d’eux pour chercher ensuite sur lequel des deux, au bistre sommet, il s’établira. Un troisième qui, après un tour de nombril, ira se perdre en musique dans la belle calanque. Et une dizaine d’autres, chacun porteur d’un message que tu comprendras tout de suite.

Mais j’en attends en retour et au retour...
P.

Ah Paul!

Ah Paul, je ne sais si vous êtes à Paris, à Bruxelles ou à Tanger. Je ne sais si vous avez vu l’éclipse de lune cette nuit dans le ciel dégagé. Je vous dis « vous », car vous êtes loin. Cela me permet de reprendre mes esprits. Après les noces de la nuit.
Il fait un temps exquis ici, tu sais. Un temps à faire refleurir les amandiers, et même des arbres jusqu’ici inconnus. Je ne sais pas si tu peux me lire. Mais je t’envoie un bouquet de dimanches, ces fleurs encore plus belles que les narcisses qui dans mes champs fleurissent.
jeu d'ombre en pleine lumière
le chapeau de la mariée
avant la nuit de noces, je m'éclipse
d’un baiser

Juliette

de Gustave Flaubert... (hors concours)

"Une exhalaison s’échappait de ce grand amour embaumé et qui, passant à travers tout, parfumait de tendresse l’atmosphère d’immaculation où elle voulait vivre. Quand elle se mettait à genoux sur son prie-Dieu gothique, elle adressait au Seigneur les mêmes paroles de suavité qu’elle murmurait jadis à son amant, dans les épanchements de l’adultère."

--Gustave Flaubert, Madame Bovary

un court poème,une déclaration?

Toi la lumineuse
quand tu diras mon nom,
je viendrai au vent,
ta voix sera une grande ouverture
où je pourrai me délivrer.
Robert Hamon