Des joutes d'amour pour le Jour de Joutes

Bonjour aux amoureux des belles lettres,

Nous publions ici les réponses à des lettres datant de 1939, trouvées près du canal d'Arles à Bouc, et signées d'un Pierre.
Ces réponses fictives ont été rédigées par Brigitte Curdel.
Elles furent prétexte à un concours de lettres, poèmes et mots d'amour, reçus dans le cadre des "Joutes d'Amour" des Territoires Poétiques, qui avaient lieu en juin 2013.

mercredi 12 juin 2013

Réponses (fictives) aux lettres d'amour datant de 1939 trouvées près du canal


Réponse à la lettre du 12 janvier 38
Pierre,
Je te promets de faire un gros effort pour, comme tu le dis : « balancer tous et toutes »dimanche prochain, et enfiler mon costume de ski, même si ce sport m’est interdit, afin de te rejoindre et me prêter à cette grande comédie du faire semblant, comme font les enfants. N’en sommes-nous pas ? N’est-ce pas là tout le jeu de l’amour et des dupes ? Ah j’imagine que je te fais monter sur tes grands chevaux avec ces mots ! Mais comprends que tu me fais sourire avec tes plans sur la comète et sur les pistes du Ventoux. J’adore ce géant de Provence avec son chapeau pointu et blanc, balayé par les vents, ses pentes que nous aimions descendre … « autrefois » comme tu le précises. Tu m’inquiètes avec ton « si cela est possible », souligné comme si tu me rendais coupable de ce conditionnel. Nos ardeurs se tarissent un peu, avec le temps qui passe et les questions que tu me poses. Mais je ne suis pas la seule responsable. Tu sais que mon travail au magasin prend beaucoup de mon temps. Je n’ai pas le choix. Il faut bien que je gagne ma vie, et ma liberté. C’est mon combat de femme aussi. Je veux être libre mon chéri, même si je sais que tu aimerais m’avoir plus souvent. Les femmes ne vivent plus aujourd’hui comme au début du siècle. Elles gagnent leur vie. Ne m’en veux pas de gagner la mienne sans dépendre de toi ni d’un autre homme. C’est peut-être aussi pour cette raison que tu m’aimes… ( ?). Je ne te demande pas de réponse.
L’amour est un continent étrange qu’il nous faut explorer, sans pour autant tout dévoiler.
Je sens bien dans ta lettre que tu me fais le reproche de ne plus être si souvent près de toi. Tu aimerais que nous emportions « un petit diner pour aller passer la journée quelque part », nous cacher, tout en te montrant. Cela devient compliqué, mais c’est très romantique. Cependant je ne peux m’empêcher d’être plus pragmatique. Tu sembles oublier qu’il fait très froid en ce mois de janvier. Sans vouloir te contrarier, je préfère passer le dimanche au coin du feu, ou aller faire un tour dans les jardins des Doms ou vers la place des Carmes, ou encore sur les bords du Rhône, vers la Barthelasse. Cela ne nous empêchera pas de marcher main dans la main, même si je préfère que nous restions discrets.
Je t’ai attendu au retour de Nîmes où tu avais mené ta mère chez l’oculiste. Mais tu n’es pas passé ; J’espère que ce n’est pas trop grave. Tu vois, moi non plus je ne peux pas compter sur tes promesses.
Je t’embrasse en cœur.
Ta très affairée Malou

Réponse à la lettre du 19 avril 39
Mon Pierre tant aimé,
Dans ta dernière lettre tu évoques ma languitude et ma tristesse après ton départ, dont je souffre encore à ce jour. Je sais que ce n’est pas raisonnable, mais cela illustre aussi le fait que je t’aime. « Que diable » ! écris-tu. Oui tu es un diable qui me harponne ! Tu me manques terriblement, mon ange ! Les occasions de nous retrouver sont si rares qu’elles sont précieuses, et restent inoubliables à mes yeux parfois inconsolables.
Sera-ce pareil si nous habitons ensemble comme tu le souhaites ? Le quotidien est un tue l’amour ! De plus, je n’ai guère le temps de me mettre en quête de quelque chose sur Arles. D’autant que ce n’est pas facile malgré la reprise des affaires. Et j’ai mes habitudes à Avignon. J’aimerais pourtant te rejoindre. Ce serait sans doute épatant comme tu dis, de nous retrouver enfin et pour longtemps. J’ai toujours du mal à me contenter de ce que j’ai. Je veux toujours plus mon chéri. Je suis excessive, il faudra t’y habituer si tu veux que nous vivions ensemble. Mais je ne sais si tu pourras t’y faire. La distance est parfois le meilleur des remèdes à l’amour. Il entretient la flamme, ravive le désir.
J’essaierai de venir samedi soir après mon travail, car je vois bien que tu as une petite idée en tête... mon coquin ! J’aimerais que nous passions une belle soirée ensemble et toute  la sainte journée de dimanche. Oui viens me prendre à Tarascon, mon chéri, cela m’arrange, et ainsi nous nous retrouverons plus tôt. Je serai dans le train qui part à 6 heures et demi d’Avignon. Une petite demi-heure à peine plus tard, je serai dans tes bras. Tu me serreras fort ? Comme la dernière fois. J’aime sentir cette force qui émane de toi quand tu me cueilles au train, et aussi ta délicatesse de ne le montrer à personne. Je suis seule à connaître la pression que tu exerces sur ma peau et sur mon cœur.
Je t’envoie à mon tour de très nombreux baisers très langoureux comme tu les aimes.
Ta Malou

Réponse à la lettre du vendredi :
Mon chéri,
Je te sens très impatient et inquiet. J’ai eu beaucoup à faire depuis notre échange au téléphone. Et pas le temps de t’écrire. Je ne peux supporter la pression que tu m’infliges. Je te le répète, j’ai beaucoup de travail, et ne peux me libérer aussi souvent que je le souhaiterais. C’est vrai que je fais passer ma vie professionnelle avant ma vie sentimentale, et je m’en excuse, mais comprends bien que je n’ai guère d’autre possibilité et que tu ne me laisses pas beaucoup de latitude, mon doux tyran ! Je fais ce que je peux. Et je ne pense pas toujours comme toi. J’aimerais que tu fasses un peu d’efforts pour me comprendre.
Cependant faire un petit tour de vélo sur la route de St Gilles, en ta compagnie, me ferait le plus grand bien. Je passe trop de temps enfermée ces derniers temps, et le beau temps nous fait des clins d’œil. J’accepte donc volontiers ta proposition.
Je sais que tu aimerais beaucoup également que l’on se retrouve à Barcelonnette. Tu aimes tellement la montagne ! J’aimerais tant te faire ce plaisir de t’y retrouver. Je ferai l’impossible pour y aller avec Yvonne, qui en sera très heureuse, j’en suis certaine. Cette pauvre Yvonne a des soucis avec son amoureux. Elle trouve qu’il ne s’occupe pas assez bien d’elle. C’est vrai. Entre nous, je pense qu’Albert est un drôle de cavaleur, mais je n’ose le dire à Yvonne. Est-ce que ton ami Paul sera de la sortie. Ce serait bien de le présenter à Yvonne. Qu’en penses-tu ?
Ne sois pas impatient, mon Pierre, les choses viendront en temps et en heure. Je pense souvent à toi… comme je t’aime.
Malou


Réponse à la lettre du 10 mai
Mon pauvre amour,
Je vais essayer de venir te voir dimanche à Marseille, dans cet hôpital où tu t’ennuies à mourir, même si tu passes tes jours à jouer aux cartes et aux boules et à fumer. Es-tu sûr d’être dans un hôpital et non pas un hôtel de luxe sur la Corniche ? J’essaierai de te faire sourire un peu et te faire oublier ta maigreur, en t’embrassant tendrement et en te câlinant un peu. Te donnent-ils des vitamines ?
Tu me plais tel que tu es, mon Pierre, et tu n’as rien à envier à ce cher Arnal… Je suis certaine que, remis sur pieds,  tu feras un beau soldat. Pourtant je n’ai guère le cœur à te voir intégrer un bataillon. Oui les Allemands ont envahi la Belgique. On dit que c’est la fin de la drôle de guerre… la guerre n’est pas drôle !  On dit que maintenant ça va barder ! Je ne doute pas que tu seras prompt à t’engager, mais tu n’as rien à me prouver. Et surtout je ne veux pas avoir à m’inquiéter pour toi. La dernière guerre a laissé un amer souvenir, et de nombreuses veuves, des fiancées qui n’ont pas vu leur amoureux revenir des combats.
J’espère que cette foutue guerre ne nous éloignera pas l’un de l’autre. J’espère que nous n’aurons pas à vivre ces temps douloureux où la mort s’abat sur les familles.
Ici j’ai toujours beaucoup de travail. On se demande comment les choses vont évoluer. Les gens commencent à faire des réserves. Ils ont peur de manquer, et c’est vrai l’on a du mal à être approvisionné. C’est à en oublier le beau temps et les oiseaux qui chantent comme des fous en ce début de printemps.
J’ai hâte d’être à dimanche et de sauter dans le train qui m’emportera jusqu’à Marseille, vers toi, mon grand rossignol fou ! Je serai ponctuelle. A1h pile tu me verras, comme un soldat…devant toi. Puis je laisserai tomber mes cheveux sur ma nuque, et tu m’embrasseras de la manière la plus douce.
Ta Malou amoureuse


Réponse à a lettre du 15 février 1939
Mon chéri, mon poète,
Combien de nuits passées dans l’Amilcar, où nous comptions les étoiles ? Elles étaient si nombreuses ces étoiles qui scintillaient dans mon cœur comme dans mes yeux, dans la noirceur de ta nuit… Mais les nuits furent si courtes et si peu nombreuses… Je regrette ce temps où nous nous aimions comme deux enfants insouciants. Il semble que nous ne parvenions à nous engager dans les pas des adultes. Nous ne nous voyons pas souvent, et je crains que tu ne bâtisses des plans sur la comète. Nous sommes jeunes et avons la vie devant nous.
As-tu réellement envie que nous la passions ensemble ? Parfois je me pose la question.
Je ne suis pas certaine moi-même de mes sentiments. Tu me demandes d’ouvrir mon cœur. Tu vois je le fais, mais je ne veux pas te blesser.
Je rencontre beaucoup de gens dans mon magasin, et je ne suis pas étrangère au charme d’un de  mes clients, un jeune homme fraîchement arrivé de Paris, qui vient de s’installer dentiste dans ma rue. Il se prénomme Jean-Charles. Sa grand-mère était une amie de la mienne. Après avoir fait ses études à Paris, il revient dans notre ville. J’essaie de lui faire bon accueil et de lui faire voir tout ce qu’il y a à voir, et qu’il n’a plus vu depuis toutes ces années qui l’ont éloignées de chez nous. Il a aussi besoin de se faire des relations, pour établir sa clientèle. Je l’aide comme je peux.
N’en prends pas ombrage, mon amoureux. Jean-Charles et moi partageons une simple amitié, sincère et digne.
C’est ce que j’ai voulu dire par « dans peu de temps tu comprendras ».
Si tu viens à Avignon par surprise, tu risqueras de nous trouver ensemble à prendre un thé.
Je voulais te prévenir.
Je ne veux pas lire tes reproches. Tu le sais, je tiens à ma liberté. Je t’aime librement. J’aimerais que tu en fasses autant.
Oui j’accepte ton baiser joyeux et j’en fais tinter un mine sur ta joue ! Pourtant je ne suis pas à même de te rejoindre dans une station de sports d’hiver. J’en suis marrie mon ami. Je n’ai guère le temps en ce moment de prendre des vacances. J’espère que tu pourras le comprendre et que tu m’en excuseras.
Je t’embrasse tendrement.

Malou

Réponse à la lettre du vendredi 3/11/1939
Vendredi soir 10/11/39

Mon cher Pierre, doux amour
Tu as bien fait de rester au chaud cette semaine. Il a fait si froid avec un mistral effrayant. Dans Avignon, on ne pouvait presque plus sortir sans manquer s’envoler. Et surtout la froidure nous glaçait jusqu’au plus intime de nous-mêmes. J’espère que tu m’excuseras de ne pas t’avoir répondu plus tôt, mais tu sais que j’ai beaucoup de travail au magasin en ce moment.
Je suis partie en quête du Dr Arnal, mais on m’a dit qu’il est souffrant ces derniers temps et ne reçoit plus personne. J’espère que tu trouveras un médecin qui fera l’affaire sur Arles.
Je me suis renseignée sur les services de car d’Avignon à Malaucène. Il y en a un qui part le samedi matin à 8h30 et qui arrive à 10h15 à destination. Cela fait long je trouve, et je ne suis pas très en forme pour aller skier. Il faut être sûr aussi qu’il y ait de la neige au Ventoux. T’en es-tu assuré ? De toute façon ce samedi je travaille. Il faut faire rentrer des provisions pour les fêtes de Noël qui vont venir bien vite. Je vais me plonger dans mes commandes. Je ne sais même pas si je pourrais me libérer dimanche. Tu sais que je ne suis pas très forte en improvisation, même si c’est parfois amusant. Il me faut prévoir quelques jours à l’avance mon programme.
Je suis bien contrariée de te faire languir.
Je t’embrasse mon Aimé.
Malou

Réponse à la lettre du mardi soir…
Mon amour,
Cette hospitalisation a été si rapide que je n’ai pas eu le temps de passer te voir avant ton départ pour l’hôpital. J’en suis très contrariée. Te savoir seul et dans la souffrance me peine énormément, même si les nouvelles sont rassurantes et si je vois qu’il semble que l’on s’occupe bien de toi. Les sœurs ont l’air d’être patientes et compétentes. Repose-toi bien mon amour, fais-toi bien dorloter. Je tâcherai de venir te voir le prochain jour de visite. Dimanche. Je pense que je pourrai faire les kilomètres qui nous séparent sans encombre. Tu me manques tellement. Et bien sûr je me fais du souci pour toi. J’ai hâte de te voir. Moi aussi j’ai beaucoup pensé à toi, même si mes activités occupent le plus clair de mon temps, m’empêchant de te voir, tout en me préservant de la souffrance de ton absence. Je m’affaire comme une abeille dans sa ruche. Veux-tu que je t’apporte un pot de confiture ou bien du miel, quelques gâteaux ? Est-ce autorisé ?
A l’heure où je t’écris tu dois déjà dormir. Souper à 6 heures du soir, c’est bien tôt. Que fais-tu de tes longues soirées. Veux –tu que je t’apporte un peu de lecture ? Je suis en train de terminer « la confusion des sentiments » de Stefan Zweig. Cela te ferait plaisir de le lire ? Tu verras c’est un très bel ouvrage sur les voies de l’esprit, la force de l’amitié. Mais on y parle aussi des sentiments d’un homme pour un autre homme, les troubles et souffrances causés par la rencontre de cet amour avec la morale, la loi et le regard de l'autre. Je pense que cela t’intéressera, et te changera les idées. Par contre j’espère que cela ne heurtera pas les bonnes sœurs qui s’occupent de toi.
Mais je dois te faire sourire mon amour, avec mes histoires de lecture. Je t’espère plus en forme et bientôt sortant de ce lieu de malheur où tu es cantonné pour ton bien.
Oui je sais que les jours meilleurs viendront et que nous pourrons reprendre nos descentes à skis sur les pentes du Ventoux que tu aimes tant. Je ferai un effort pour te suivre. Je te le promets.
Non je n’aurai pas le temps de passer à Arles samedi. Comme je te l’ai dit, je croule sous le travail. Je viens juste de m’arrêter ce soir, et il est déjà 10 heures. Mes yeux se ferment tout seuls. J’aimerais un baiser de toi sur mes paupières, pour bien dormir à tes côtés, si loin.
Je t’embrasse bien tendrement aussi.
Ta Malou chérie, ta femme.